«Président Macron, tenez l’engagement de la France vis-à-vis des exilés italiens»

L’appel contre les extraditions des réfugiés italiens signé par des personnalités du monde de la culture française

Libération, 29 avril 2021

Monsieur le Président,
C’est par la volonté d’un président de la République, François Mitterrand, que des militants d’extrême gauche italiens engagés dans la violence politique durant les années 70 ont été accueillis dans notre pays à la condition expresse d’abandonner toute activité illégale. Peut-être n’auriez-vous pas vous-même pris cette décision. Mais le contexte était différent, la «stratégie de la tension» encore vivace, les juristes français souvent perplexes quant aux «lois spéciales» qui régissaient les procédures italiennes. Et quoi qu’on pense de cet héritage, vous conviendrez qu’on ne peut remonter le cours du temps ni changer les événements du passé.
Il y a maintenant quarante ans, plusieurs dizaines de personnes sont sorties de la clandestinité, ont déposé les armes, ont vu leurs dossiers examinés par les plus hautes autorités des services de renseignements, de police et de justice françaises : leur séjour en France a été accepté, puis officialisé par la délivrance de cartes de séjour. Certaines se sont mariées, créant ainsi des couples binationaux, beaucoup ont eu des enfants qui sont aujourd’hui citoyens français, parfois des petits-enfants, eux aussi français. Elles ont contribué à la richesse nationale par leur travail pendant plusieurs décennies, certaines étaient même employées par l’Etat français. Toutes ont respecté leur engagement de renoncer à la violence.
Alors que ces personnes ont aujourd’hui entre 65 et 80 ans, qu’elles ont des problèmes de leur âge, problèmes de santé, de dépendance, de vieillissement, certains en Italie s’en servent comme de commodes épouvantails pour des objectifs de politique intérieure qui ne nous concernent pas. Leur campagne équivaut à accuser des dizaines de fonctionnaires de nos services administratifs, à accuser police, justice, administration de la République française d’avoir, quarante années durant, protégé des assassins.

C’est faire preuve d’un relativisme
Faisant comme si le temps s’était arrêté il y a un demi-siècle, certains feignent de croire que ces personnes étaient restées figées dans un éternel présent, alors que la France et l’expérience douloureuse de l’exil loin du pays natal leur ont permis au contraire d’avancer sur le chemin de la vie, de devenir d’autres personnes. Pour la France, c’était faire confiance à l’être humain, en ses capacités de transformation et de progrès, et cette confiance a été honorée.
En août 2019, à l’instigation de monsieur Salvini, l’Italie a ratifié la convention européenne relative à l’extradition entre Etats membres de l’Union européenne, ce qu’elle se gardait de faire depuis 1996. Cette initiative avait pour seul objectif d’annuler les décisions françaises afférentes à ces personnes. Selon nos règles de droit, en effet, les dossiers en question sont tous prescrits et ne sauraient donner lieu à des extraditions quarante, voire cinquante ans après les faits.
Rappelons qu’en France, seuls les crimes contre l’humanité sont imprescriptibles. Mettre un signe égal entre telle affaire d’homicide et un génocide, assimiler des personnes accueillies par la République française à des nazis cachés par quelque dictature du Proche-Orient, c’est faire preuve d’un relativisme qui ne pourra que réjouir les cercles négationnistes et leurs amis d’extrême droite.

Mécanismes fondamentaux de la justice
Monsieur le Président, le souci de prendre davantage en compte le point de vue de nos partenaires européens ne saurait mener au confusionnisme historique et à l’abandon des mécanismes fondamentaux de la justice.
Dans l’Orestie d’Eschyle, un meurtrier erre en exil, pourchassé par les déesses de la vengeance, qui réclament réparation au nom de la victime. Mais Oreste dit cette chose curieuse : «Je ne suis plus un suppliant aux mains impures : ma souillure s’est émoussée. Elle s’est usée au contact des hommes qui m’ont reçu dans leurs maisons ou que j’ai rencontrés sur les routes.» Comme si le temps, l’exil, le commerce des hommes avaient un pouvoir purificateur, et qu’Oreste ne se réduisait plus à celui qui fit cette chose, terrible entre toutes : tuer sa mère. A la fin de la pièce, Athéna, déesse protectrice de la Cité, prend une décision qui s’apparente davantage à une amnistie qu’à un acquittement. Les Erinyes, invitées à habiter Athènes, comme pour réaffirmer le respect des victimes, acceptent la fondation du tribunal de l’Aréopage, la fondation du droit moderne. Le cycle de la vengeance est achevé, vient celui de la justice.
Cette fable, fondatrice de notre culture européenne commune, comment se peut-il qu’on l’oublie si souvent ? La vengeance est de nouveau à l’ordre du jour. La souillure qui ne s’efface jamais, qui réduit le criminel à son crime, toujours présent, jamais passé, est un outil pour manipuler l’opinion et troubler les consciences. Et l’extrême droite italienne, responsable des deux tiers des morts de ce qu’on appelle les «années de plomb» et qui ose parler au nom des victimes, ne pourrait que se féliciter de cette entreprise.
Monsieur le Président, il faudrait sans doute Athéna pour convaincre le Parlement italien de voter la loi d’amnistie espérée depuis si longtemps, et qui permettrait à la société italienne de tourner la page et de regarder vers l’avenir. Mais vous avez toute latitude pour tenir l’engagement de la France vis-à-vis des exilés italiens, de leurs enfants, de leurs familles françaises. La décision de les extrader ne saurait être une question technique. Il s’agit d’une question politique qui dépend de vous. Voulez-vous faire ce qu’aurait fait à votre place un représentant du Rassemblement national ? Nous voulons croire que vous voudrez plutôt rappeler que la raison et l’humanisme sont au fondement de nos démocraties, qu’il n’est pas bon d’ajouter inutilement du malheur au malheur, et peut-être citer à vos interlocuteurs transalpins ce vers qu’Eschyle jadis mettait dans la bouche d’Athéna : «Tu veux passer pour juste plutôt qu’agir avec justice.»

Signataires : Agnès b., Jean-Christophe Bailly, Charles Berling, Irène Bonnaud, Nicolas Bouchaud, Valeria Bruni-Tedeschi, Olivier Cadiot, Sylvain Creuzevault, Georges Didi-Huberman, Valérie Dréville, Annie Ernaux, Costa-Gavras, Jean-Luc Godard, Alain Guiraudie, Célia Houdart, Matthias Langhoff, Edouard Louis, Philippe Mangeot, Maguy Marin, Gérard Mordillat, Stanislas Nordey, Olivier Neveux, Yves Pagès, Hervé Pierre, Ernest Pignon-Ernest, Denis Podalydès, Adeline Rosenstein, Jean-François Sivadier, Eric Vuillard, Sophie Wahnich, Martin Winckler

«Cesare Battisti a été exhibé comme un trophée de chasse»

L’ex-membre des Brigades rouges Paolo Persichetti critique la mise en scène, à Rome, de la traque des anciens militants d’extrême gauche

Propos recueillis par Jérôme Gautheret
Le monde Publié hier à 12h20, mis à jour hier à 12h20

Pilori

Aujourd’hui âgé de 56 ans, Paolo Persichetti a milité dans les rangs des Brigades rouges-Union des communistes combattants (BR-UCC), dans les années 1980. Après un premier séjour en prison en Italie et un acquittement, il s’installe en France en 1991. Condamné en appel à vingt-deux ans de prison pour «participation à une bande armée» et «complicité morale dans un homicide», il est extradé en 2002 vers l’Italie, où il terminera sa peine en avril 2014.
Il s’insurge contre le traitement dont a fait l’objet Cesare Battisti depuis son arrestation en Bolivie, et l’utilisation politique par le gouvernement italien de la traque des anciens militants d’extrême gauche installés en France depuis le début des années 1980.

Lundi 14 janvier, Cesare Battisti a atterri à l’aéroport de Ciampino, accueilli par deux ministres et une foule de journalistes. Que vous a inspiré cette scène?
Paolo Persichetti: D’abord, les conditions générales de sa remise aux autorités italiennes restent obscures. La Bolivie n’a respecté aucune procédure, ni d’extradition ni d’expulsion. Ils ont évité de le faire repasser par le Brésil, comme cela aurait été logique compte tenu de la procédure, dans le but de l’empêcher de bénéficier, mécaniquement, d’une réduction de sa peine à trente ans de prison en vertu d’un accord conclu entre Rome et Brasilia.
Puis, il y a les images de l’aéroport de Ciampino, qui étaient répugnantes. Battisti a été exhibé comme un trophée de chasse. Quelque chose de moyenâgeux rappelant l’époque des supplices publics. Deux ministres, dont un qui paradait en costume de policier, se sont invités pour assister à la scène. Sans parler de la vidéo ignoble qu’a mis en ligne le ministre de la justice, Alfonso Bonafede, le lendemain.

Cette capture vous a nécessairement rappelé des choses…
Dans les trois cas où l’Italie est arrivée à ramener dans ses propres geôles des exilés, mon propre cas en 2002, celui de Rita Algranati en 2004 et maintenant celui de Battisti, les remises se sont toujours déroulées en contournant les lois internationales.
Le soir du 24 août 2002, j’ai été arrêté dans le hall d’un immeuble à Paris, alors que j’allais dîner chez des amis. J’ai été emmené au siège de la DNAT [Division nationale antiterroriste], où je suis resté menotté comme un cheval à un anneau accroché au mur, puis, vers minuit, j’ai été mis dans une voiture en direction de l’Italie. Au but d’une folle course dans cette nuit noire, j’ai été échangé sous le tunnel du Mont-Blanc.
Le lendemain soir, j’étais en prison à Rome, mais la surprise est arrivée quand on m’a accusé d’avoir pris part au meurtre de Marco Biagi, un conseiller du ministre du travail d’alors. Accusation sans fondement, car au moment des faits, je tenais un cours dans la salle B224 de l’université de Saint-Denis, face à une vingtaine d’étudiants.
Il s’agissait d’une violation de la convention européenne sur les extraditions: la France, qui était parfaitement au courant des intentions de la magistrature italienne, aurait dû demander une nouvelle demande d’extradition et l’Italie ne pouvait pas m’inculper sans l’autorisation française. Ils savaient très bien que devant les juges, les accusations italiennes se seraient écroulées.

Votre retour en Italie avait-il donné lieu à une mise en scène comparable ?
J’ai eu droit, moi aussi, à une surmédiatisation avec la différence que les médias n’ont été avertis que quand j’étais déjà à Turin. La presse n’a été convoquée que pour filmer mon passage dans la cour de la questura. Les jours suivants, les journaux racontaient que Berlusconi et son gouvernement, réunis dans sa villa de Sardaigne, avaient sorti le champagne à l’annonce de mon arrestation.
IconaLa rentrée de Battisti a été annoncée à l’avance, ce qui a permis une mise en scène théâtrale très soignée: défilé des équipes spéciales des différentes polices, directs TV, radios et réseaux sociaux… Ça a été l’événement médiatique du moment. Il faudrait tout de même rappeler que fin 2017, lorsque l’un des auteurs de l’attentat de Brescia [8 morts et 102 blessés, en 1974], Maurizio Tramonte, un militant d’extrême droite proche des services secrets, a été ramené au Portugal, l’opération s’est déroulée dans l’anonymat le plus absolu. Pendant des années, on a raconté au pays que les attentats à la bombe étaient l’œuvre des Brigades rouges. On a réécrit l’histoire.

Que sait-on des conditions de détention de Cesare Battisti ?
Une fois débarqué à Rome, il a été renvoyé à la prison d’Oristano, en Sardaigne. Il était tellement chamboulé qu’une fois arrivé sur place il a demandé dans quelle partie du monde il se trouvait… Cette prison n’a pas été choisie au hasard: elle est une des plus dures du pays. Elle se trouve de plus dans une île, alors que sa famille vit sur le continent. Une façon d’amplifier l’isolement, de rendre difficiles les parloirs et les visites des organismes de contrôle.
Battisti a été placé à l’isolement diurne pour six mois dans un lieu séparé de la prison. On lui a préparé une sorte de «41 bis» sur mesure [un régime d’isolement total, prévu pour les mafieux les plus dangereux, que la Cour européenne des droits de l’homme a qualifié de «torture»], quelque chose d’absolument illégal. D’ailleurs, c’est le type de traitement qu’attend tout réfugié ramené en Italie: moi aussi, j’ai fait quatre mois et demi d’isolement.
Matteo Salvini [le ministre de l’intérieur italien] lui-même a annoncé qu’il n’y aurait aucun aménagement de peine, et que Cesare Battisti allait pourrir en prison jusqu’à la fin de sa vie. Une façon de mettre sous pression les juges d’exécution des peines. Comme cela m’est arrivé à moi, il devra répondre d’un «délit d’exil». Ils lui reprocheront la soi-disant «doctrine Mitterrand» et la décision de Lula [ex-président brésilien] de ne pas l’extrader. Tout parcours d’intégration en France et au Brésil sera interprété à l’envers, comme une circonstance aggravante…
Les juges deviennent fous face à cette question de la fuite et de l’exil. On m’a reproché d’avoir écrit un livre sur les dessous de mon extradition [Exil et Châtiment,Textuel, 2005], et même d’avoir fait en France un diplôme d’études approfondies sur la «Judiciarisation de la démocratie». Le châtiment qui attend tout exilé, c’est la destruction de tout ce qu’il était arrivé à reconstruire. Ils doivent démontrer que la seule chose possible pour les révoltés des années 1970, c’est un emprisonnement infini, sans possibilité de sortie.

Matteo Salvini, et après lui tout le gouvernement italien, a annoncé qu’ils ne comptaient pas en rester là, et s’apprête à demander l’extradition d’autres personnes recherchées par la justice italienne, dont la plupart sont en France.
En 2004, la justice française avait accepté l’extradition de Battisti contre la promesse que l’Italie modifie sa loi sur la contumace, permettant à Battisti et aux autres dans la même situation d’espérer un nouveau procès. Le Brésil avait, lui, donné son accord pour l’extradition en échange d’une commutation de la perpétuité à trente ans de prison [la peine maximale prévue par le code pénal brésilien]. En Italie, aucun de ces engagements n’a été respecté. Au contraire, ils l’ont enfermé et ils ont jeté les clés de sa cellule.
Je pense que la France doit soigneusement réfléchir à toute requête venant de l’Italie. Il a fallu cinq ans à l’Italie, après la guerre, pour amnistier les crimes des fascistes, six ans à la France pour les crimes de l’OAS durant la guerre d’Algérie. Aujourd’hui, on est à plus de quarante ans de l’affaire Moro. C’est le temps de l’histoire, pas du châtiment.

Elogio della miscredenza

Recensioni – Daniel Bensaïd
Fragments Mécréants
Mythes identitaires et république imaginaire,

Éditions Lignes,
ottobre 2005, pp. 187, € 14,90

Paolo Persichetti

Le periferie francesi bruciano. Cinque milioni di persone originarie dell’immigrazione degli ultimi decenni, ma ormai relegate in una condizione di postesilio, tra un passato dimenticato e un avvenire incerto, prive della lunga gestazione molecolare che ha forgiato la cultura repubblicana, incarnano il malessere di un mondo che ha perso ogni speranza compresa quella del ritorno verso la propria Itaca immaginaria. Allora i rumori di rivolta che si sprigionano dai loro quartieri-ghetto annunciano i bagliori di una grande intifada che rischia di contaminare le altre periferie d’Europa.
Pare che «tutto va in pezzi e questi pezzi si frantumano a loro vota in mille altri pezzi». L’immagine evocata da Benjamin riassume efficacemente la febbre identitaria che travolge le società attuali, sempre più in balia di nuove «guerre d’identificazione» e overdosi memoriali, come se avessero dimenticato la riflessione di Nietzsche sull’impossibilità di vivere senza oblio. A chi l’interrogava sulle sue origini, Brecht rispondeva di non avere radici ma gambe per spostarsi. «Rifiutava l’immobilità vegetale, l’infossamento verticale della stirpe, ad essa opponeva le solidarietà storiche orizzontali», ricorda Daniel Bensaïd nel suo pamphlet, Fragments Mécréants. Mythes identitaires et république imaginaire, Lignes, pp. 187, € 14,90.
Una riflessione che, prendendo spunto da una lunga serie di controversie, come la legge che vieta i segni religiosi ostensibili nelle scuole, le lacerazioni che la sua applicazione ha provocato nei gruppi femministi, le polemiche suscitate dal ruolo giocato dall’esponente mussulmano Tariq Ramadan, gli atti d’antisemitismo e d’arabofobia, la concorrenza vittimaria tra i sopravvissuti del genocidio e i discendenti della tratta degli schiavi, le riscritture legislative che vorrebbero edulcorare il passato coloniale, fino all’appello degli «indigeni della repubblica», in realtà va ben oltre i confini d’Oltralpe. Per esempio, la critica rivolta a quei patetici ex nouveaux philosophes, divenuti nel frattempo «nuovi teologi», chiama in causa anche le posizioni dei nostri «atei devoti», come Fallaci, Ferrara e Pera. Ma attenzione, la posizione di Bensaïd non segue affatto sentieri scontati, rifiuta di iscriversi all’interno del confronto stereotipato che oppone gli assertori del relativismo culturale ai difensori della superiorità di un Occidente nelle sue versioni antitetiche, razional-illuminista o giudeocristiana. La strada percorsa propone invece l’uscita dalla guerra dei miti, sacri e profani, laici e religiosi, identitari e universalistici.
Il velo islamico, infatti, ha mostrato più di quanto avrebbe voluto nascondere. Rivelatore della grande nevrosi laica, sorta di alienazione profana speculare a quella religiosa, convogliata nella costruzione di una repubblica immaginaria, astratta e artificiale, dove in realtà un sempre più fragile cattolicesimo secolarizzato si è fatto scudo della retorica repubblicana per contrastare il proselitismo aggressivo dell’islam. La laicità non definendosi più come un’autonoma concezione opposta a ogni forma di confessionalismo, ma unicamente contro una religiosità specifica, è morta. Nata come un tentativo di preservare la neutralità dello spazio pubblico, si è trasformata in una invasiva codificazione sugli usi del corpo, non dissimile da qualsiasi altra forma di comunitarismo confessionale, anzi il suo esatto riflesso. Sottrarre diritti e libertà di ciascuno, quando questi siano condizione della libertà di tutti, è sempre un fattore negativo. Pensare di dare libertà, sottraendo diritti alla persona, in un conflitto che individua nei divieti statali gli strumenti per sconfiggere le oppressioni comunitarie, ha ribaltato l’idea dell’affermazione dei diritti come percorso d’emancipazione. Ormai gli eredi della rivoluzione francese ritengono il cammino verso la libertà nient’altro che una gimcana di divieti.
Un tempo esisteva il lavoratore immigrato, oggi resta solo l’immigrato senza lavoro, spoliato d’ogni possibile soggettivazione politica e per questo, come afferma Rancière, «ridotto a una identità sociologica che oscilla tra la nudità antropologica di una razza e di una pelle differente». Emerge così quella che molti storici ultimamente hanno definito la «frattura coloniale». La crisi della società fordista ha dissolto i vecchi integratori sociali. La comunità d’origine ha rimpiazzato il ruolo svolto un tempo nel territorio da partiti e sindacati con le loro strutture collaterali. La scuola e il lavoro da spazi che operavano mediazione e integrazione sono divenuti luoghi d’esclusione e ghettizzazione. Allora si è fatta strada la «rivincita di Dio», la comunità dei credenti ha rimpiazzato le vecchie solidarietà, la memoria dolorosa ed esclusiva è diventata il cemento di una costruzione identitaria di sostituzione. Non si convocano più gli universali, la memoria ferita è evocata unicamente come un referente preclusivo: quasi che l’indignazione contro la tratta degli schiavi fosse monopolio dei neri, quella contro il colonialismo unicamente delle popolazioni che l’hanno subito, il genocidio sacro affare degli ebrei, il sessismo tema riservato alle donne e l’omofobia agli omosessuali. Per riabilitare una identità troppo a lungo negata, le ideologie delle decolonizzazioni «hanno dovuto reinventare le filiazioni collettive, nelle diverse versioni dell’arabismo e della negritudine». Il tragico fallimento dei processi d’indipendenza nazionale ha esacerbato le identità rimosse favorendo i processi di etnicizzazione e confessionalizzazione delle nazioni. Un vortice vittimista che aggiunge «divisioni alle divisioni, e fa girare a pieno regime la sterile macchina della colpevolizzazione». Al posto delle alleanze e delle solidarietà viene suscitato solo il sospetto reciproco generale. È questa la critica principale che Bensaïd muove all’appello degli indigeni della repubblica: l’errore di rinchiudersi nel passato, di cercare il futuro nelle radici, di non liberarsi dalle catene delle origini, di «lasciarsi inchiodare al museo delle identità subite», cercando il ripiego più della rottura, l’avvitamento al posto dell’oltrepassamento.
Ma se L’origine non prova nulla e non legittima niente, dov’è la soluzione? Essa è antitetica a qualsiasi genealogia, e passa attraverso la costruzione di spazi pubblici comuni, culturalmente e linguisticamente plurali, sul modello della «nazione culturale» già pensata da Otto Bauer di fronte alla decomposizione dell’impero multinazionale austro-ungarico. Un esempio ripreso dal modello zapatista, anteposto a quello senderista che etnicizza il litigio, individuando nella separazione razziale il passaggio obbligato per riparare i torti commessi verso gli indigeni. Ma anche qui, attenzione alla retorica del meticciato commerciale, estetizzato dalla pubblicità, stile Oliviero Toscani, che tende a sfumare i contrasti, annegare le discordie nel consenso buonista, trasfigurando la figura del meticcio in un «testimone amnesiaco». Rendendo innominabile il torto subito dai vinti, questa parodia della società meticcia funzionerebbe unicamente come antimemoria, nutrendo una fobia di ritorno nei confronti delle fusioni e delle contaminazioni d’ogni tipo. Un fantasma reattivo di purezza e di purificazione, che al tempo stesso rischia di suonare alle orecchie del postcolonizzato come un obbligo a dissolversi nella cultura dominante.
Allora per superare le identità vendicative e ricomporre i frammenti del mosaico, contro ogni credenza o mito delle origini è più utile ritornare alla comune condizione sociale, alla realtà generale del rapporto di classe e di genere, uniche discriminanti che attraverso la pratica del conflitto federatore uniscono e non frastagliano in mille identità irreconciliabili.

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I dannati della nostra terra
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La lunga notte di Parigi dove la Cgt da l’assalto ai migranti
Sans papiers impiegati per costruire Cpt
Le figure del paria indizio e sintomo delle promesse incompiute dall’universalità dei diritti

Etat d’exception permanent en Europe

Livres – La Révolution et l’État, de Paolo Persichetti et Oreste Scalzone, Dagorno 2000

Par Henri Maler
Le Monde diplomatique, octobre 2002
Enseignant à l’université Paris-VIII, co-animateur d’Action critique médias (Acrimed)

Sorce: http://www.monde-diplomatique.fr/2002/10/MALER/16924 

Le premier est emprisonné, l’autre pas – ou pas encore. Paolo Persichetti et Oreste Scalzone, dont la générosité et la lucidité ne sont un secret que pour les gouvernements français et italien, ont rédigé ensemble un ouvrage, paru en février 2000 (1). En rappeler la teneur est une forme de résistance et de solidarité élémentaires, du moins si l’on veut comprendre ce qui s’est passé et ce qui se passe sous nos yeux.
A rebours des thèses qui dissocient l’action des groupes armés italiens et le mouvement des années 1970 (et en rupture avec les tentatives de démarcation rétrospective), Persichetti et Scalzone s’attachent à mettre en évidence que le passage à la lutte armée fut un point culminant d’un vaste mouvement social confronté à la violence d’Etat et une actualisation d’une virtualité inscrite dans ce mouvement lui-même.
En témoigne notamment la porosité entre les mouvances d’organisations armées et non armées. «Une lutte armée dans le mouvement et un mouvement dans la lutte armée»: solidement étayé, ce sobre constat, qui ne prétend pas s’appliquer à la totalité des forces politiques d’extrême gauche de ces années-là, est complété par d’autres, sur l’origine sociale essentiellement ouvrière et populaire des «combattants armés» et sur le caractère essentiellement politique de leurs cibles. De quoi ruiner – non pour justifier, mais pour comprendre – quelques légendes qui entourent ce «terrorisme».
A contre-courant des illusions répandues sur le caractère d’exception de l’arsenal juridique mis en place après 1976, Persichetti et Scalzone analysent la mise en place d’un Etat de l’urgence permanente qui intègre les mesures d’exception à la législation ordinaire: «L’exception ayant été ainsi transformée en règle, la norme s’était dissoute dans un vaste ensemble d’exceptions».
Il vaut la peine de rappeler certaines d’entre elles : extension de la durée de la prison préventive jusqu’à douze ans, incitation à la délation grâce à la loi sur les «repentis», condamnation définitive prononcée par contumace, possibilité d’être jugé plusieurs fois pour le même délit, introduction de «circonstances aggravantes» pour des délits indubitablement politiques. A quoi il faut ajouter ces innovations juridiques que constituent les «preuves logiques», les imputations par «théorèmes» et les délits de complicité «morale» ou «psychique» (mentale, en italien).
Enfin, Persichetti et Scalzone mettent en cause les stratégies de défense de certains condamnés et de leurs soutiens qui, concentrés sur leur innocence, judiciaire et/ou politique, ont pris le risque de dévier du combat pour une amnistie générale. Sans prendre part à cette polémique, il faut retenir la qualité des arguments qui la sous-tendent et viennent fonder le combat pour l’amnistie (2): non comme procédure d’effacement, mais comme remise en cause de l’Etat d’urgence et, plus généralement, de la judiciarisation de la vie politique qui, alors qu’elle n’a pas fini de produire des ravages en Italie même, se répand un peu partout en Europe.
Ce sont ces analyses de la judiciarisation de la politique que Paolo Persichetti, en sa qualité de chercheur, a poursuivies depuis. Avec son emprisonnement lui-même, elles éclairent comment l’Europe se construit.
25 août 2002. Cette date n’est pas seulement celle de l’extradition vers l’Italie – de l’enlèvement – de Paolo Persichetti, condamné dans son pays à vingt-deux ans de prison pour complicité « morale » de participation à un assassinat politique ; elle est celle d’une « trahison de la parole donnée » par les plus hautes autorités françaises – depuis qu’en 1985 François Mitterrand avait accordé l’asile et la tranquillité aux militants de l’extrême gauche italienne réfugiés dans l’Hexagone et ayant «rompu avec la machine infernale». Pas plus le président Jacques Chirac, lors de son premier mandat, que M. Lionel Jospin, qui, en tant que premier ministre, avait octroyé des cartes de séjour à ceux des exilés politiques italiens qui n’en avaient pas, n’étaient revenus sur cette parole.Il n’en est plus ainsi. Une trahison que seul le goût de la casuistique permettrait de distinguer d’une forfaiture pure et simple.
11 septembre 2002. Cette date n’est pas seulement celle que les ministres de la justice français et italien, M. Dominique Perben et M. Roberto Castelli, en quête de symboles délicats, ont choisie pour se rencontrer et célébrer, au nom de la lutte contre le « terrorisme », leur solidarité dans le processus de vengeance sans fin et à sens unique de l’Etat italien ; elle est celle d’une victoire de l’Europe pénale.
En effet, l’extradition de Paolo Persichetti et les menaces qui pèsent sur les réfugiés politiques italiens, bien qu’elles se prévalent de règles antérieures, sont à la fois un accomplissement des promesses comprises dans ce monstre juridique que constitue l’« espace judiciaire européen » et une anticipation de l’entrée en vigueur du «mandat d’arrêt européen»: des dispositifs qui se fondent sur la «reconnaissance mutuelle» des actes judiciaires de tous les pays concernés et avalisent par conséquent les lois, les procédures et les décisions les plus répressives de chacun d’entre eux (3). Quant à l’alliance scellée entre M. Perben et M. Castelli, elle consacre l’amalgame de tous les «terrorismes» : un amalgame que le vocable favorise et que les dispositions judiciaires entérinent, dans un contexte de criminalisation de la contestation  (4).
C’est donc dans un mouvement de résistance plus général que s’inscrit la mobilisation pour la libération de Paolo Persichetti, pour la défense des réfugiés politiques italiens (5) et pour l’obtention d’une amnistie de tous les condamnés des «années de plomb».
Persichetti et Scalzone terminent leur livre par un fragment de ce propos de Gilles Deleuze : «Agents et patients, lorsque nous agissons et subissons, il nous reste toujours à être dignes de ce qui nous arrive. C’est sans doute cela la morale stoïcienne: ne pas être inférieur à l’événement, devenir le fils de ses propres événements (6)».
Nous savons que personne n’enlèvera cette dignité à Paolo Persichetti.

(1) Paolo Persichetti et Oreste Scalzone, La Révolution et l’Etat, Dagorno, Paris, 2000, 342 pages, 10,29 euros. Comité pour la libération de Paolo Persichetti : (www.persichetti.ras.eu.org).
(2) Ou, du moins, une mesure d’indulto: une diminution des peines qui les rendraient conformes au droit «ordinaire».
(3) Paolo Persichetti, «Plus de judiciaire, moins de juridique», 5 octobre 2001 (www.lsijolie.net/article.php3 ?id_ar…). Lire aussi Jean-Pierre Paye, «Faux-semblants du mandat d’arrêt européen», Le Monde diplomatique, février 2002.
(4) John Brown, «Les périlleuses tentatives pour définir le terrorisme», Le Monde diplomatique, février 2002. Le Figaro, toujours à l’avant-garde, avait détecté en novembre 2001 l’existence d’un «terrosyndicalisme» ou «terrorisme syndical», Le Figaro, 16 novembre 2001, sous la plume d’Ivan Roufiol.
(5) Tous mériteraient d’être nommés ici. Cesare Battisti et Oreste Scalzone sont, semble-t-il, les plus menacés.
(6) Gilles Deleuze et Claire Parnet, Dialogues, Flammarion, Paris, 1977, pp. 49-80.