Stop aux fake news sur le kidnapping du président de la Démocratie Chrétienne Aldo Moro réalisé en 1978 par le Brigades rouges! Un groupe d’historiens écrit une lettre ouverte contre les théories du complot

Les media italiens, nonobstant les quatre décennies qui nous séparent des faits, continuent toujours à proposer une interprétation liée aux théories du complot de l’enlèvement par les Brigades rouges du président de la Démocratie chrétienne Aldo Moro, laissant croire aux lecteurs qu’il reste toujours des mystères non résolus.
A l’occasion du 40ème anniversaire de l’attentat à la gare de Bologne de 1980, plusieurs journaux ont évoqué l’affaire Moro, bien qu’il n’ait rien à voir avec le massacre à la gare. Dans un article paru sur le manifesto du 2 août dernier, on pouvait même lire: «…Catracchia, syndic au nom du Sisde (le Service secret civil) des immeubles de via Gradoli, où au numéro 96 se trouvait une base des Brigades rouges louée par l’ingénieur Borghi, alias Mario Moretti, où Aldo Moro était initialement retenu prisonnier». Une double affirmation non étayée et qui amène le lecteur à croire qu’un lien occulte entre le Sisde et les Brigades rouges a été établi: un lien, en réalité, toujours démenti par les recherches historiographiques et les enquêtes judiciaires. Au contraire, l’activité judiciaire ainsi que les différentes commissions d’enquête ont conclu que Aldo Moro n’a jamais été emprisonné dans les locaux de la via Gradoli, qui servaient seulement de base à deux brigadistes, Mario Moretti et Barbara Balzerani. La dernière commission d’enquête parlementaire sur l’affaire Moro a même mené une enquête Adn sur les matériaux et objets saisis dans l’appartement de la via Gradoli, relevant l’absence de traces génétiques attribuables à Aldo Moro.

Quant aux allégations sur le contrôle par le service secret civil des appartements situés au 96 de la via Gradoli et donc sur une relation présumée entre Brigades rouges et services secrets, il faut dire que des preuves claires ont émergé dans plusieurs cours d’assises, étayées aussi par le travail historiographique. 
Il nous semble juste de les signaler en quelques lignes:

1. L’ingénieur Borghi/Moretti a loué les locaux de via Gradoli 96 à la suite d’une annonce en décembre 1975;
2. Les bailleurs étaient MM. Giancarlo Ferrero et Luciana Bozzi, propriétaires de l’appartement depuis l’acte du 01/07/1974;
3. Il s’agissait d’une transaction entre particuliers qui n’a jamais impliqué l’administrateur Catracchia, lié – selon les complotistes – aux services secrets;
4. Le Sisde, le nouveau service secret civil, a été créé en 1977, soit deux ans après la signature du contrat de bail de la base des Brigades rouges.
5. Il est évident que le bail entre le brigadiste Moretti/Borghi et les époux Ferrero ne pouvait en aucune manière impliquer le Service secret civil, qui n’existait pas à cette époque.
6. Il convient également de rappeler que l’appartement de la via Gradoli 96 a cessé d’être une base des Brigades rouges en 1978, précisément pendant l’enlèvement de Moro.
7. L’appartement utilisé par les Noyaux armée révolutionnaires (un groupe néofasciste tenu pour responsable par la magistrature du massacre à la gare de Bologne) était au numéro 65 de la via Gradoli. Quoiqu’il en soit, leur séjour dans cet immeuble remonte à quelque semaine de l’octobre 1981. Un autre extrémiste de droite a séjourné au 96 de la via Gradoli – Enrico Tomaselli, appartenant à “Terza Positione” (un autre groupe néofasciste) – mais en 1986, soit plusieurs années après les faits en question. Il faut en tout cas préciser qu’il ne s’agissait pas de l’appartement occupé à l’époque par les Brigades rouges. Le syndic Catracchia n’a rien à voir dans cette affaire car ce studio fut loué à Tomaselli par son propriétaire, Andrea Insabato, fils d’un magistrat de cassation et militant d’extrème droite lui aussi, qui en décembre 2000 mit une bombe devant la rédaction du Manifesto.
8. Les trois sociétés immobilières, propriétaires de certains appartements dans les deux immeubles au numéro 96, ont toutes été créées avant la naissance du Sisde.
9. L’achat d’appartements dans la via Gradoli que le dirigeant de la police Vincenzo Parisi (chef de la police à Grosseto en 1978, chef de la police nationale en 1987, depuis 1980 en poste au Sisde dont il devient directeur en 1984) enregistrera à ses filles, Maria Rosaria et Daniela, remonte pour le numéro 75 un an et demi après l’enlèvement de Moro, tandis que les suivants, relatifs au numéro 96, se produisent au milieu des années 1980: quatre et neuf ans après la signature du bail de 1975 des Brigades rouges.
10. Dans la plupart des récits concernant les appartements de la via Gradoli, ces faits chronologiques sont simplement ignorés. Cependant, sur ce point comme sur de nombreux autres sujets, la précision chronologique est essentielle pour parvenir à une évaluation pondérée qui respecte la méthode historique. Une analyse correcte des dates, des sources et des relations de cause à effet exclut toute implication d’autres entités extérieures aux Brigades rouges dans la lutte armée qu’elles avaient engagée dès 1970. Nous rejetons donc le discours portant sur le complot qui domine la presse italienne.

Matteo Antonio Albanese, Luca Altieri, Gianremo Armeni, Mario Ayala, Alessandro Barile, Andrea Brazzoduro, Edoardo Caizzi, Chantal Castiglione, Francesco Catastini, Frank Cimini, Marco Clementi, Andrea Colombo, Giovanna Cracco, Adriano D’Amico, Silvia De Bernardinis, Elisabetta Della Corte, Fabio De Nardis, Paolo De Nardis, Joshua Depaolis, Christian De Vito, Italo Di Sabato, Richard Drake, Nicola Erba, Eros Francescangeli, Marco Gabbas, Monica Galfré, Mario Gamba, Aldo Grandi, Massimiliano Griner, Marco Grispigni, Guillaume Guidon, Davide F. Jabes, Antonio Lenzi, Nicola Lofoco, Emilio Mentasti, Carla Mosca, Ottone Ovidi, Alberto Pantaloni, Paolo Persichetti, Giovanni Pietrangeli, Roberto Polito, Francesco Pota, Elena Pozzato, Alberto Prunetti, Nicola Rao, Tommaso Rebora, Susanna Roitman, Francesco Romeo, Ilenia Rossini, Elisa Santalena, Vladimiro Satta, Marco Scavino, Davide Serafino, Giuliano Spazzali, Chiara Stagno, Davide Steccanella, Andrea Tarturli, Ugo Maria Tassinari, Vincenzo Tessandori, Simón Vázquez, Luciano Villani
Rome, 12 aout 2020 (mise à jour 1 Octobre 2020)

Version originale https://insorgenze.net/2020/08/17/basta-fake-news-sul-sequestro-moro-un-gruppo-di-storici-scrive-una-lettera-aperta-contro-le-dietrologie/

Matteo Antonio Albanese, chercheur à l’Université de Padoue, auteur du tout récent volume «Tiges de fer et étuis en plomb. Une histoire sociale des Brigades rouges » (editeur Pacini). 
Luca Alteri, Université Sapienza de Rome et Institut d’études politiques S. Pio V, sociologue, ses études portent sur la question urbaine et la participation politique non conventionnelle.

Gianremo Armeni, sociologue, il a publié «Ces fantômes, premier mystère de l’affaire Moro» (Entre les lignes de livres), «Bi. Erre. Les fondateurs »(Pays Edizioni),« Bonnes règles. Le vademecum du brigatiste » (Prospettiva Editrice), La stratégie gagnante du général Dalla Chiesa contre les Brigades rouges (edizioni associate). 

Mario Ayala, historien, professeur agrégé à l’Universidad Nacional de Tierra del Fuego, Antártida et Islas del Atlántico Sur.

Alessandro Barile, chercheur en histoire contemporaine, Université Sapienza de Rome; rédaction de Zapruder. 
Andrea Brazzoduro, chercheur, auteur de l’essai «Soldats sans cause. Souvenirs de la guerre d’Algérie», Laterza, rédaction de “Histoires en mouvement/Zapruder”, revue trimestrielle sur l’histoire des conflits sociaux à laquelle collaborent plus de trois cents historiens.

Chantal Castiglione, écrivaine et spécialiste des mouvements sociaux. Il a publié «L’Italie dans les années de plomb entre espoirs et illusions» (Falco Editore 2013) et «Chanson pour un rebelle. Lettres de lutte et de désobéissance» (Edizioni Erranti 2018). 

Francesco Catastini, chercheur à l’Université de Padoue. Parmi ses livres «A ritroso. La ricerca storica e i suoi tempi», (Pacini).

Frank Cimini, journaliste judiciaire, polémiste historique en défense des mouvements des années soixante-dix, a été le directeur de «Controinformazione», «Autonomia» et «Sinopsis», a fondé et anime le site http://www.Giustiziami.it
Marco Clementi, professeur agrégé d’histoire de l’Europe de l’Est à l’Université de Calabre, auteur de nombreux essais, dont «Histoire de la dissidence soviétique» (Odradek), «Les derniers juifs de Rhodes» (Derive Approdi), «La pazzia di Moro» ( Mondadori), «Histoire des Brigades rouges» (Odradek). Il est co-auteur de «Brigades rouges, des usines à la campagne de printemps» (Derive Approdi). 

Andrea Colombo, a suivi le cas Moro pendant de nombreuses années sur le manifesto, a écrit «Une affaire d’État, le crime Moro quarante ans plus tard» (Cairo editore). 

Silvia De Bernardinis, chercheuse, a rédigé une thèse de doctorat sur «Lutte de classe et lutte armée dans la crise fordiste des années 70 en Italie: les Brigades rouges».
Elisabetta Della Corte, sociologue, professeur à l’Université de Calabre, dans ces travaux, «Evasioni. Melfi: ouvriers s’échappant de l’usine de la prison et autres histoires» (Immaginapoli).

Fabio de Nardis, professeur agrégé de sociologie des phénomènes politiques, Université de Foggia et Université du Salento.

Paolo De Nardis, professeur ordinaire de sociologie à l’Université Sapienza de Rome, dirige l’Institut d’études politiques S. Pie V. Il s’occupe du changement social, de la théorie politique et de la pensée marxiste. 

Joshua Depaolis, chercheur indépendant, auteur de « 1978: une nouvelle étape dans la guerre des classes? Sélection de documents sur la campagne de printemps des Brigades rouges» (Kersplebedeb). 

Christian De Vito, historien, chercheur à l’Université de Bonn, auteur de «Chamois et porte-clés» (Laterza), un essai sur les prisons spéciales.

Italo Di Sabato, un des fondateurs de «l’Observatoire de la répression», association qui dirige depuis 2007 des études, recherches, débats et séminaires sur les questions de répression, de législation spéciale et de la situation carcérale.

Richard Drake, professeur à la Lucile Speer Research Chair in Politics and History Department of History, University of Montana. Auteur de «The Aldo Moro Murder Case» (Cambridge, Harvard UP), traduit et publié en Italie: «Il caso Aldo Moro» (Tropea).

Eros Francescangeli, chercheur à l’Université de Parme, a publié «Arditi del popolo: Argo Secondari et la première organisation antifasciste, 1917-1922» (Odradek), rédaction de «Storie in Movimento/Zapruder».
Marco Gabbas, Docteur die Recherche en in Histoire, Il c’est occupé de l’influence du maoisme e du guevarisme dans la luute armée en Italie.

Monica Galfrè, professeur agrégé d’histoire contemporaine, Université de Florence. Elle est l’auteur de «La guerre est finie. L’Italie et la sortie du terrorisme 1980-1987» (Laterza).

Mario Gamba, journaliste expert en musique contemporaine, a travaillé pour le manifesto, Alias, L’Espresso, Reporter, Outlet et Tg3. Auteur d’une chronique mémorable des funérailles de Prospero Gallinari et sur Alfabeta2 a publié une intervention intitulée «Mémoire et exorcisme».

Aldo Grandi, journaliste et essayiste, a publié de nombreux ouvrages de reconstruction historique: «Giangiacomo Feltrinelli, la dynastie, le révolutionnaire» (Dalai Editore), «Insurrezione armata» (Bur), «L’ultimo brigatista» (Bur); «La génération des années perdues. Potere Operaio» (Einaudi). 

Massimiliano Griner, historien, scénariste, auteur à la télévision et radio. Il a publié de nombreux essais sur l’histoire contemporaine, dont «La Banda Koch» (Bollati Boringhieri) et «La zona grigia». Intellectuels, professeurs, journalistes, avocats, magistrats, ouvriers. Une certaine Italie idéaliste et révolutionnaire» (Chiarelettere).

Marco Grispigni, spécialiste des mouvements sociaux et politiques des années soixante et soixante-dix. Il a publié plusieurs volumes: «Il Settantasette» (Il Saggiatore); «Éloge de l’extrémisme. Historiographie et mouvements» (Manifestolibri); «Les années soixante-dix racontées aux filles et aux garçons» (Manifestolibri); «Ce soir-là à Milan, il faisait chaud. La saison des mouvements et de la violence politique» (Manifestolibri); «1968 racontée aux filles et aux garçons» (Manifestolibri). 

Guillaume Guidon, docteur en histoire contemporaine à l’Université Grenoble Alpes – Chercheur indépendant.

David F. Jabes, historien, chercheur indépendant et consultant éditorial. Il est co-auteur de «Impero. Le V-1 transportant le vaisseau capital des puissances de l’Axe» (Fonthill).

Antonio Lenzi, PhD en histoire des partis et mouvements politiques, Université d’Urbino. 
Nicola Lofoco, journaliste spécialisé dans le terrorisme italien et international, est l’auteur de «L’affaire Moro, mystères et secrets révélés» (Gelso Rosso). Il collabore avec le Huffington Post et possède son propre site Web http: //www.nicolalofoco.it

Emilio Mentasti, chercheur indépendant, auteur de «La guardia rossa racconta. Storia del comitato operaio della Magneti Marelli» (Colibrì), «Senza tregua, storia dei comitati comunisti per il potere operaio 1975-1976», (Colibrì), «Bergamo 1967-1980. Lotte, movimenti, organizzazioni», (Colibrì).

Carla Mosca, ancienne journaliste de la RAI (Télévision publique), a suivi les principaux événements juridiques liés aux années 1970 pour le service public. Il a écrit, avec Rossana Rossanda et Mario Moretti, «Les Brigades rouges, une histoire italienne» (Oscar Mondadori). Ottone Ovidi, chercheur à l’Université Paris 10 Nanterre, fait partie de la rédaction de «Storie in movimento/Zapruder».

Alberto Pantaloni, historien, éditeur de la série historique de DeriveApprodi.

Paolo Persichetti, ancien réfugié à Paris sous la doctrine Mitterrand, a enseigné la sociologie politique à Paris 8 Vincennes-Saint Denis, chercheur indépendant et auteur du blog http://www.Insorgenze.net. Journaliste à Liberazione et Il Garantista. Auteur avec Oreste Scalzone de «Il nemico inconfessabile» (Odradek), «La révolution et l’Etat», Dagorno, «Exil et Châtiment» (Textuel), co-auteur de «Brigades rouges, des usines à la campagne de printemps» (Derive Approdi). 

Giovanni Pietrangeli, chercheur, rédaction de «Storie in movimento/Zapruder». 

Roberto Polito, historien de l’Antiquité, ancien chercheur à l’Université de Cambridge. 
Francesco Pota, chercheur, rédaction de «Storie in movimento/Zapruder».

Alberto Prunetti, écrivain et traducteur, a écrit de nombreux livres, dont «Asbestos, a worker history» (Edizioni Alegre) et «Nel girone dei bestemmiatori. Une commedia operaia» (Laterza). Il fait partie de plusieurs rédactions, telles que Carmilla on line, Nuova Rivista Letteraria et Jacobin Italia.

Nicola Rao, journaliste et essayiste, auteur de plusieurs ouvrages sur l’histoire du terrorisme de gauche et de droite. Sur les Brigades rouges, il a publié le volume «Colpo al cuore. Dai pentiti ai metodi speciali. Come lo Stato uccise le Br. La storia mai raccontata» (Sperling & Kupfer). 

Tommaso Rebora, doctorant en études historiques du Moyen Âge à l’époque contemporaine, Université de Teramo.

Susanna Roitman, chercheuse et chargée de cours à l’Universidad Nacional de Villa María, Argentine. Directeur de l’Observatoire du travail et des conflits de Cordoue.

Ilenia Rossini, chercheur, rédaction de «Histoires en mouvement/Zapruder».

Elisa Santalena, professeur associé d’histoire italienne contemporaine à l’Université Grenoble Alpes, experte des prisons spéciales, co-auteur de «Brigades rouges des usines à la campagne de printemps» (Derive Approdi). 

Vladimiro Satta, ancien documentariste de la Commission parlementaire sur le terrorisme et les massacres, est l’auteur de «Odyssée dans l’affaire Moro» (Edup), «L’affaire Moro et ses faux mystères» (Rubettino), «Les ennemis de la République» (Rizzoli).

Marco Scavino, chercheur en histoire contemporaine à la Faculté de lettres et de philosophie de l’Université de Turin. Auteur de «Potere operaio. La storia, la teoria, vol. 1», (DeriveApprodi).
Davide Serafino, chercheur et enseignant, a publié «La lutte armée à Gênes. Du Groupe du 22 octobre aux Brigades rouges, 1969-1981» (Pacini). 

Giuliano Spazzali, avocat, était l’un des principaux représentants du «Soccorso Rosso Militant». Il a défendu les anarchistes du Circolo Ponte della Ghisolfa dans l’affaire Piazza Fontana, et par la suite aussi de nombreux protagonistes de la lutte armée. Il a publié l’essai «La zecca e il garbuglio» (Machina Libri).

Chiara Stagno, doctorat en histoire à l’Université orientale de Naples. 

Davide Steccanella, avocat, polygraphe. A de nombreux essais à son actif, dont «Les années de la lutte armée. Chronologie d’une révolution ratée» (Bietti Editore), «L’indomptable. Histoires de femmes révolutionnaires» (Pagina uno), «Les Brigades rouges et la lutte armée en Italie» (Narcissus.me). Il est également l’auteur du roman «Gli sfiorati» (Bietti), une narration autobiographique placée à proximité des principaux événements subversifs italiens. Chaque année, publie «L’Agenda Révolutionnaire» (Mimesis), une chronologie quotidienne des récurrences attribuables aux figures et récits rebelles du XXe siècle. 

Andrea Tanturli, archiviste aux Archives nationales de Florence. 

Ugo Maria Tassinari, journaliste et enseignant, a été le fondateur historique du site «Fascinazione» (dédié à l’extrême droite italienne) et aujourd’hui du blog AlterUgo. Il a écrit divers essais et édité de nombreuses publications, dont «Biennio Rosso» par Oreste Scalzone (Sugarco) et «Evasioni. Melfi: ouvriers s’échappant de l’usine de la prison et autres histoires» d’Elisabetta Della Corte (Immaginapoli).

Vincenzo Tessandori, plume historique de La Stampa, a écrit deux livres sur la lutte armée des années soixante-dix, dont «Br. Imputazione: banda armata. Cronaca e documenti delle Brigate Rosse» (Baldini e Castoldi) et «Qui Br. Il racconto, le voci» (Baldini e Castoldi).

Luciano Villani, chercheur en histoire contemporaine, Université La Sapienza, Rome.

Ils ont donné leur adhésion:

Adriano D’Amico, avocat, auteur de «L’occupation des terres. Une grande épopée paysanne», (édition littéraire de Calabre).

Edoardo Caizzi, éditions Milieu.
Giovanna Cracco, direttrice della rivista Paginauno.
Nicola Erba, éditions Milieu. 

Elena Pozzato, éditions Milieu.

Francesco Romeo, avocat, a notamment traité du procès qui a conduit à la reconnaissance de la torture contre Enrico Triaca, arrêté pour appartenance aux Brigades rouges en mai 1978.

Simón Vázquez, Tigre de Paper edicions.

 

«Gli anni 70? E’ ora di affidarli agli storici»

L’Intervista – Parla Marc Lazar che insieme a Marie-Anne Matard-Bonucci ha diretto, Il libro degli anni di piombo. Storia e memoria del terrorismo in italia, Rizzoli 2010


Paolo Persichetti
Liberazione 30 marzo 2011

La scuola di giornalismo della fondazione internazionale Lelio Basso ha promosso di recente un corso di approfondimento dal titolo, «Lo stragismo in Italia da piazza Fontana a via d’Amelio». Il ciclo di conferenze – hanno spiegato gli organizzatori – ha per obiettivo quello di analizzare «La violenza politica come nodo interpretativo della vicenda repubblicana». Tuttavia volgendo un rapido sguardo al programma si resta colpiti dalla singolare riduzione di significato attribuita alla nozione di “violenza politica”. Non vi è più traccia di legami con le dinamiche dell’azione collettiva e dei conflitti sociali, scompare l’analisi del contesto socio-economico, non si tengono nella dovuta considerazione le influenze di natura culturale e ideologica. Eppure, sarebbe bastato guardare alle ore di sciopero, al numero di manifestazioni e picchetti realizzati in alcuni passaggi salienti del dopoguerra italiano, rileggere giornali e riviste dell’epoca per capire il nesso profondo che lega l’emergere della violenza politica ai conflitti sociali.
Per la fondazione Basso, invece, tutto si riconduce al «fenomeno stragista sviluppatosi come “strategia della tensione” alla fine degli anni 60 e riemerso (caso unico in Europa) in tutta la sua drammaticità dopo la fine della guerra fredda ad inizio anni 90». Si ripropone, in sostanza, l’ennesima vulgata complottista e autoconsolatoria aggiornata agli attentati di mafia dei primi anni 90, al papello di Riina, alla trattativa tra Stato, nella veste del “signor Franco”, e Vito Giancimino per conto di Bernardo Provenzano, almeno stando alle ultime ricostruzioni fornite dal figlio di Giancimino, Massimo, prese sul serio dalla procura di Palermo ma non da quella di Caltanissetta. Una rappresentazione che pretende di racchiudere in un’unica trama criminale fatti lontani, diversi, opposti e conflittuali, per natura, cause, moventi e fenomenologia.
Di questa difficoltà a fare la storia degli anni 70 abbiamo parlato con Marc Lazar, professore di storia e sociologia a Sciences Po-Parigi e alla Luiss, che insieme a Marie-Anne Matard-Bonucci ha curato un interessante lavoro multidisciplinare sugli anni 70 pubblicato nel settembre scorso da Rizzoli: Il libro degli anni di piombo. Storia e memoria del terrorismo italiano (tradotto dall’edizione francese uscita presso l’editore parigino Autrement).

Nella introduzione affermate che «Gli storici studiano il terrorismo italiano da poco». Perché questo ritardo?
All’inizio ci sono state le investigazioni giornalistiche, con inchieste soprattutto interessate a cercare i legami con Kgb, Cia, insomma la cosiddetta “dietrologia”. Poi sono venute le commissioni parlamentari che hanno fatto un lavoro a volte abbastanza interessante. Ma è stato come se gli storici avessero delegato ai politici il proprio mestiere. Una supplenza pericolosa. Successivamente è arrivato il momento delle testimonianze con le autobiografie di alcuni militanti della lotta armata e di chi era sul fronte opposto. Da un po’ di tempo hanno preso la parola i figli delle vittime o degli attori: Calabresi, Tobagi, Rossa, e dall’altra parte Anna Negri. Credo che ora sia giunto il momento degli storici. Anche se non va dimenticato che già in passato ci sono stati lavori importanti che purtroppo sono rimasti confinati nel limbo dei pionieri. Oggi ho l’impressione che si stia aprendo una nuova fase. Sono colpito dalla presenza di giovani ricercatori italiani e francesi che si rivolgono a questo periodo con uno sguardo molto diverso dal nostro. Sicuramente chi ha partecipato a quegli anni proverà un grosso malessere di fronte all’impatto delle nuove ricostruzioni che forniranno questi giovani.


Perché ci sono voluti 40 anni?
Questo ritardo ha diverse spiegazioni: molte ferite sono ancora aperte, sia da parte dello Stato che di quelli che hanno fatto la scelta della lotta armata. Non dimentichiamo poi le vicende dell’estrema destra, lo stragismo. Il comportamento della giustizia ha mostrato l’esistenza di due pesi e due misure: molto più duro con la sinistra armata, meno con la destra stragista. C’è poi una grossa difficoltà ad accettare l’idea che negli anni 70 la violenza non sia rimasta limitata solo a piccoli gruppi. Al di là dei giudizi negativi che si possono dare, questa violenza politica esprimeva comunque qualcosa che era presente nella società. E’ stata uno specchio dell’Italia, una sorta di autobiografia del Paese. Questa constatazione ha suscitato reazioni molto dure, soprattutto a sinistra. Eppure La storia degli anni 70 non si può ridurre al peso, seppur importante, delle ideologie, o alla scelta strategica dell’uso della violenza da parte di alcuni gruppi. Si tratta di capire le ragioni profonde che hanno favorito quella parte di consenso raccolto dentro la società dalla minoranza armata. In fondo l’Italia è l’unico Paese europeo in cui si è verificato un periodo così lungo di conflitto violento e con dimensioni sociali tanto ampie. Per questa ragione diversi contributi presenti nel libro, come quello di Isabelle Sommier, cercano di ripensare il rapporto tra violenza sociale e politica non solo negli anni 60-70 ma anche in una prospettiva più lunga. La nostra ambizione era di fare una storia politica, sociale e culturale, mettendo assieme i vari aspetti.

Come spieghi questo perdurare delle teorie dietrologiche?
C’è una grande difficoltà a capire che una protesta sociale può avere un rapporto con la violenza e avere sbocchi politici. E’ un po’ la stessa incapacità a comprendere la natura del berlusconismo, il suo essere ormai un fenomeno sociale profondo e non il semplice risultato di una manipolazione dei media. Con questo lavoro abbiamo posto la prima pietra sulla necessità di fare storia dopo tanta dietrologia e letteratura scandalistica. Anche perché sono passati 30-40 anni e cominciano ad esserci un po’ di archivi disponibili. Non tutti sfortunatamente.

Questa presenza francese, prima con la dottrina Mitterrand ora con la scrittura della storia, non potrebbe suscitare qualche malumore?
Anche in Francia è accaduto qualcosa del genere con la storia di Vichy. Solo grazie al contributo dello storico americano Robert Paxton è stato possibile il rinnovamento completo dell’interpretazione storiografica di quel periodo. Forse un contributo straniero può essere utile quando c’è una situazione così intrecciata. La verità è che noi francesi ci siamo ritrovati dentro questa storia, siamo stati attraversati da queste vicende. Era quindi necessario tentare di andare oltre i malintesi franco-italiani. Nel volume diversi contributi spiegano come i francesi abbiano interpretato a caldo gli anni 70, sia sul piano politico che intellettuale. C’è un saggio di François Dosse su Gilles Deleuze e Felix Guattari che appoggiarono il movimento del ’77 e il convegno di Bologna contro la repressione. Abbiamo poi cercato di conoscere la visione dei giuristi francesi sullo stato di diritto in Italia e tentato di ricostruire la cosiddetta dottrina Mitterrand.

Cosa è emerso?
Mancano ancora gli archivi italiani e buona parte di quelli francesi, tuttavia possiamo dire che non si è trattato di una dottrina giuridica ma di una politica. A seconda delle fasi e dell’interlocutore che aveva davanti, Mitterrand ha assunto posizioni contraddittorie. Disse che la Francia avrebbe fornito protezione senza introdurre esclusioni tra i militanti italiani degli anni 70, se questi nel frattempo avessero abbandonato la violenza politica; in altre occasioni aggiunse che questa protezione non riguardava chi era accusato di crimini di sangue. All’inizio si sono manifestati contrasti nel governo. Alcuni avevano posizioni “più comprensive”, altri “più dure” perché temevano il possibile legame tra militanti italiani e componenti del terrorismo corso o basco. Circostanza che dimostra come la “dottrina Mitterrand” abbia preso le mosse da problemi di gestione dell’ordine pubblico interno prim’ancora che da questioni diplomatiche. La vera novità arriva tuttavia dalla scoperta del ruolo decisivo giocato dal presidente del consiglio Bettino Craxi che, come ha documentato Jean Musitelli che ha avuto a disposizione l’archivio Mitterrand, per ragioni di politica interna invitò in più occasioni Mitterand a tenersi i latitanti italiani.

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Enzo Traverso: “Années de plomb, entre tabou et refoulement”

Le livre entretien de Mario Moretti publié en Italie en 1994 vient de paraitre en France, traduit, préfacé et annoté par Olivier Doubre, chez Amsterdam, 356 pages, 19 euros. C’est l’occasion pour l’historien Enzo Traverso d’analyser le climat politique de la fin des années 1970 italiennes, et de tirer le bilan, aujourd’hui de cet épisode encore peu étudié par les historiens

* (Nei prossimi giorni sarà disponibile in linea anche una versione in italiano di questa intervista. Ndr)

Propos recueillis par Jean-Claude Renard
Politis
1 septembre 2010

Avec le recul, quel regard d’historien portez-vous sur ces années de plomb?
J’ai vécu entre Gênes et Milan entre 1977 et 1981, ce qui correspond aux années les plus dures, d’une lourdeur extrême. Cette période apparaît lointaine: un quart de siècle s’est écoulé, et le monde a totalement changé; c’est en même temps une époque qu’on a du mal à inscrire dans une perspective historique. C’est la grande différence avec Mai 68: on a vu en France il y a deux ans une vague éditoriale, qui n’était pas médiatique mais constituait déjà un début d’historicisation, avec d’importants travaux. L’Italie est encore dans un état hybride, entre le tabou, le refoulement, l’incapacité de faire face à cette période, l’ersatz judiciaire et les demandes d’extradition. Ce passé a plus été élaboré au tribunal que dans l’espace public. Le bilan n’a été tiré ni par les responsables politiques de l’époque ni par les historiens. Les années 1970 commencent seulement à être étudiées. C’est un héritage très lourd, une époque riche de potentiels et qui s’est terminée de la pire des manières. Ce qui explique l’incapacité à lui faire face. Avec une génération, au sens large du terme, qui a produit le meilleur et le pire.

Quelle est cette production du meilleur et du pire?
Aujourd’hui, on trouve des exmilitants de la gauche radicale dans un parti xénophobe, raciste et populiste comme la Ligue du Nord (l’actuel  ministre de l’Intérieur, Roberto Maroni) et dans le Peuple de la liberté, le parti de Berlusconi (le ministre des Affaires étrangères, Franco Frattini). Nombre de gens sont arrivés au berlusconisme en passant par Bettino Craxi, qui, le premier, avait compris que la crise de la gauche radicale jetait dans la nature toute une generation en perte de repères, et qu’on pouvait y puiser. Quant au meilleur, il se trouve dans les universités, où travaillent des philosophes comme Giorgio Agamben et Domenico Losurdo, des historiens comme Guido Crainz, ou dans la littérature, avec des écrivains comme Erri de Luca.

Comment les mouvements d’extrême gauche percevaientils l’existence d’un groupe armé?
Il s’agissait de «camarades qui se trompent». Au départ, on ne sait pas très bien qui sont les Brigades rouges, si elles s’inscrivent dans la tradition de la Résistance ou dans une guerilla à la manière de l’Amérique latine. Dans un climat tendu, militaire, les Brigades rouges étaient le groupe le plus audacieux. Il y avait une réserve, parfois une condamnation, mais, en même temps, les Brigades exerçaient une fascination très forte sur l’extrême gauche en général. Cette fascination est devenue une attraction politique, parfois irrésistible, après 1976, l’année de la dissolution de Lotta continua. Pour toute une mouvance soudainement dépourvue de repères, les Brigades rouges avaient une capacité d’action époustouflante. Elles prétendaient porter l’attaque au coeur de l’État, et c’est ce qu’elles ont fait! Jusqu’à kidnapper Aldo Moro le jour où la stratégie du compromis historique devait être votée à l’Assemblée. Pour moi, trotskiste alors, et pour beaucoup d’autres, les sentiments étaient partagés: d’une part, on critiquait le terrorisme dans la mesure où l’on pensait qu’il remplaçait l’action des masses; de l’autre, on combattait la répression et on défendait tous ceux qui étaient arrêtés. Nous avions forgé le slogan «ni avec les Brigades rouges ni avec l’État», qui n’était pas faux mais traduisait en même temps notre impuissance.

La répression des autorités a été l’occasion d’exactions, de tortures, de lois spéciales, comme le souligne Mario Moretti dans son livre…
Il faut rappeler que le climat était d’une extrême tension. Ainsi, un de nos camarades, dont l’activité n’avait rien de clandestin, a subi une perquisition avec le déploiement d’hélicoptères et des unités spéciales de la police en tenue de combat. Cela n’avait aucun sens! Se réunir simplement dans un café pouvait poser un problème. L’Italie est restée, malgré tout, une démocratie, la torture ne s’est pas généralisée, même si les brigadistes ont parfois subi des massacres, comme dans le cas de via Fracchia, à Gênes, bien décrit dans le livre. Mais il faut rappeler que tout cela se déroulait dans un climat d’accoutumance à la violence qui, au final, banalisait la répression. Tous les jours, la presse rapportait qu’un cadre d’entreprise, un haut fonctionnaire ou un professeur d’université avait été tué ou «gambizzato» (blessé aux jambes par balles). Ce climat explique, à partir des années 1980, le rejet de la violence et une certaine fétichisation des droits de l’homme, qui, comme un contrecoup de la saturation antérieure, sont devenus un substitut de la politique.

Comment expliquez-vous l’émergence et l’importance des Brigades rouges, à la difference d’autres groupes, en Allemagne ou en France?
Les Brigades rouges sont une organization terroriste née dans un pays qui a connu la Résistance comme mouvement de lutte armée de masse. L’Allemagne a également connu une résistance antinazie, numériquement aussi importante qu’en Italie ou en France, mais, pour toute une série de circonstances historiques, en Allemagne, il n’y a pas eu de résistance armée de l’intérieur. Les brigadistes s’inscrivent dans cette tradition, trouvant des relais dans les usines, ayant des contacts avec les militants de base du Parti communiste et les anciens résistants. En Allemagne, la RAF (Fraction armée rouge) n’est pas issue du mouvement ouvrier, il fallait mener la lutte armée contre un État «fasciste», héritier du régime nazi. Les brigadistes ont parfois subi des massacres, comme dans le cas de via Fracchia, à Gênes, bien décrit dans le livre. Mais il faut rappeler que tout cela se déroulait dans un climat d’accoutumance à la violence qui, au final, banalisait la répression. Tous les jours, la presse rapportait qu’un cadre d’entreprise, un haut fonctionnaire ou un professeur d’université avait été tué ou «gambizzato» (blessé aux jambes par balles). Ce climat explique, à partir des années 1980, le rejet de la violence et une certaine fétichisation des droits de l’homme, qui, comme un contre motivations, les perspectives sont donc différentes. Si le terrorisme ne s’est pas enraciné en France, c’est lié à une plus grande stabilité politique des institutions françaises. Il n’y a pas eu de crise de l’État comme en Italie. La Ve République a finalement pu traverser la période des années 1970 sans dommages. Sans comparaison avec l’Italie. D’autre part, l’extrême gauche française avait une orientation politique et idéologique bien différente. L’armure idéologique des trotskistes a empêché certaines dérives. D’une certaine manière, la gauche radicale italienne a dû s’inventer, parce que sans tradition ni forte matrice, contre le Parti communiste. Elle a dû trouver ses repères idéologiques. Du coup, elle a été plus novatrice, mais sur des bases plus instables, plus fragiles. La gauche radicale française était prête à une traversée du désert, ce qui n’était pas le cas en Italie.

Quelle est l’importance du témoignage de Mario Moretti, si l’on songe notamment aux accusations d’infiltrations et de manipulations?
Ce témoignage est d’autant plus important que Mario Moretti dissipe un certain nombre de mythes qui existent encore, même en Italie. Après la chute de l’Union soviétique, certains documents sont sortis prouvant que les Brigades rouges avaient eu des contacts avec certains services des pays de l’Est. Commes elles voulaient faire tomber les institutions italiennes, il est naturel que les Brigades aient suscité l’intérêt des uns et des autres. Dans le contexte d’alors, il est tout à fait possible que l’organisation ait eu des contacts avec l’Est, voire avec l’OLP. Mais que la trajectoire des brigadistes, leur naissance, leur développement, s’explique par le rôle des services secrets de l’Est, de l’OLP ou du Mossad est un mythe qui ne tient pas la route. Il n’y a eu, à l’évidence, aucune manipulation. Mais on peut imaginer des infiltrations de la part de l’État italien. Il faut savoir que celui-ci n’a d’abord rien compris au mouvement. Il y avait un noyau de 150 personnes dans la clandestinité, un autre noyau, plus large, de gens qui pouvaient aussi entrer dans la clandestinité et, enfin, une aire de milliers de sympathisants. Un groupe plus facile à infiltrer. Mais, à vrai dire, l’infiltration relève de la norme dans l’histoire de toute organisation terroriste. En tout cas, face à ce foisonnement d’organisations révolutionnaires, à quelques exceptions près, les hauts fonctionnaires du ministère de l’Intérieur ne comprenaient pas grand-chose.

La mort d’Aldo Moro semble avoir marqué un tournant pour les Brigades rouges.
L’expérience des Brigades rouges s’est mal terminée, et ne pouvait que mal se terminer. Les Brigades ont surgi et se sont nourries de la crise des mouvements sociaux et politiques ayant marqué l’Italie des années 1970. En même temps, leur succès, leurs exploits militaires ont décrété la fin des mouvements d’extrême gauche, la fin de la contestation. Ce que dit clairement Mario Moretti dans ce livre : «Après l’affaire Aldo Moro, nous étions à l’apogée de nos forces, et nous n’avions aucune perspective». Ils ne savaient plus quoi faire. Et, à y réfléchir, l’apogée des Brigades rouges correspond à la défaite du mouvement ouvrier : l’automne1980 est marqué par l’échec de la grève des ouvriers de Fiat, licenciés par milliers, 24 000 à Turin, après un mois de grève. Tous les activistes d’extrême gauche et beaucoup de responsables syndicaux sont virés. C’est un tournant. Les années 1980 seront très différentes de la décennie antérieure.

Enzo Traverso est professeur de sciences politiques à l’université de Picardie, à Amiens.

Link
Le thème du complot dans l’historiographie italienne – Paolo Persichetti
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Il caso italiano: lo stato di eccezione giudiziario
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Mario Moretti, Brigate Rosse. Une histoire italienne

Libri – Mario Moretti, Brigate Rosse. Une histoire italienne, Traduction de l’italien par Olivier Doubre, éditions Amsterdam, 356 pages, 19 euros


Au début des années 1990, Mario Moretti, principal dirigeant des Brigades rouges pendant les années 1970, est incarcéré à Milan. Il accorde alors un long entretien à deux célèbres journalistes italiennes, Carla Mosca et Rossana Rossanda, ancienne dirigeante du Parti communiste italien. Publié pour la première fois en France, ce témoignage unique restitue au plus près l’histoire italienne des «années de plomb», la situation d’exception qui régnait alors, ainsi que le mouvement massif d’insubordination révolutionnaire qui secouait la péninsule transalpine. Tout au long de cette période, l’ordre existant semblait à chaque instant près de vaciller.
De la formation politique des premiers brigadistes dans les usines milanaises à l’arrestation de Moretti, plus de dix années se sont écoulées. En 1978, les Brigades rouges ont organisé l’un des événements majeurs de l’histoire italienne contemporaine: Aldo Moro, chef de la Démocratie chrétienne, promoteur d’un «compromis historique» entre cette dernière et le Parti communiste, est enlevé et exécuté… par Moretti lui-même, qui le reconnaît ici pour la première fois.
Tout au long de cette décennie, les Brigades rouges se sont évertuées, à travers la terrible radicalité du choix politique de la lutte armée, à combattre l’État, le capitalisme et l’exploitation, au nom de la liberté et de l’égalité. Sans compromis ni compromissions. Mais à quel prix?
À l’heure où le monde semble s’installer de nouveau durablement dans une ère de turbulences et où partout les États mettent en place des législations d’exception au nom de la lutte contre le terrorisme, il importe plus que jamais de revisiter l’histoire italienne des «années de plomb».

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Enzo Traverso, années de plomb entre tabou et refoulement

Le thème du complot dans l’historiographie italienne – Paolo Persichetti
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Etat d’exception permanent en Europe

Livres – La Révolution et l’État, de Paolo Persichetti et Oreste Scalzone, Dagorno 2000

Par Henri Maler
Le Monde diplomatique, octobre 2002
Enseignant à l’université Paris-VIII, co-animateur d’Action critique médias (Acrimed)

Sorce: http://www.monde-diplomatique.fr/2002/10/MALER/16924 

Le premier est emprisonné, l’autre pas – ou pas encore. Paolo Persichetti et Oreste Scalzone, dont la générosité et la lucidité ne sont un secret que pour les gouvernements français et italien, ont rédigé ensemble un ouvrage, paru en février 2000 (1). En rappeler la teneur est une forme de résistance et de solidarité élémentaires, du moins si l’on veut comprendre ce qui s’est passé et ce qui se passe sous nos yeux.
A rebours des thèses qui dissocient l’action des groupes armés italiens et le mouvement des années 1970 (et en rupture avec les tentatives de démarcation rétrospective), Persichetti et Scalzone s’attachent à mettre en évidence que le passage à la lutte armée fut un point culminant d’un vaste mouvement social confronté à la violence d’Etat et une actualisation d’une virtualité inscrite dans ce mouvement lui-même.
En témoigne notamment la porosité entre les mouvances d’organisations armées et non armées. «Une lutte armée dans le mouvement et un mouvement dans la lutte armée»: solidement étayé, ce sobre constat, qui ne prétend pas s’appliquer à la totalité des forces politiques d’extrême gauche de ces années-là, est complété par d’autres, sur l’origine sociale essentiellement ouvrière et populaire des «combattants armés» et sur le caractère essentiellement politique de leurs cibles. De quoi ruiner – non pour justifier, mais pour comprendre – quelques légendes qui entourent ce «terrorisme».
A contre-courant des illusions répandues sur le caractère d’exception de l’arsenal juridique mis en place après 1976, Persichetti et Scalzone analysent la mise en place d’un Etat de l’urgence permanente qui intègre les mesures d’exception à la législation ordinaire: «L’exception ayant été ainsi transformée en règle, la norme s’était dissoute dans un vaste ensemble d’exceptions».
Il vaut la peine de rappeler certaines d’entre elles : extension de la durée de la prison préventive jusqu’à douze ans, incitation à la délation grâce à la loi sur les «repentis», condamnation définitive prononcée par contumace, possibilité d’être jugé plusieurs fois pour le même délit, introduction de «circonstances aggravantes» pour des délits indubitablement politiques. A quoi il faut ajouter ces innovations juridiques que constituent les «preuves logiques», les imputations par «théorèmes» et les délits de complicité «morale» ou «psychique» (mentale, en italien).
Enfin, Persichetti et Scalzone mettent en cause les stratégies de défense de certains condamnés et de leurs soutiens qui, concentrés sur leur innocence, judiciaire et/ou politique, ont pris le risque de dévier du combat pour une amnistie générale. Sans prendre part à cette polémique, il faut retenir la qualité des arguments qui la sous-tendent et viennent fonder le combat pour l’amnistie (2): non comme procédure d’effacement, mais comme remise en cause de l’Etat d’urgence et, plus généralement, de la judiciarisation de la vie politique qui, alors qu’elle n’a pas fini de produire des ravages en Italie même, se répand un peu partout en Europe.
Ce sont ces analyses de la judiciarisation de la politique que Paolo Persichetti, en sa qualité de chercheur, a poursuivies depuis. Avec son emprisonnement lui-même, elles éclairent comment l’Europe se construit.
25 août 2002. Cette date n’est pas seulement celle de l’extradition vers l’Italie – de l’enlèvement – de Paolo Persichetti, condamné dans son pays à vingt-deux ans de prison pour complicité « morale » de participation à un assassinat politique ; elle est celle d’une « trahison de la parole donnée » par les plus hautes autorités françaises – depuis qu’en 1985 François Mitterrand avait accordé l’asile et la tranquillité aux militants de l’extrême gauche italienne réfugiés dans l’Hexagone et ayant «rompu avec la machine infernale». Pas plus le président Jacques Chirac, lors de son premier mandat, que M. Lionel Jospin, qui, en tant que premier ministre, avait octroyé des cartes de séjour à ceux des exilés politiques italiens qui n’en avaient pas, n’étaient revenus sur cette parole.Il n’en est plus ainsi. Une trahison que seul le goût de la casuistique permettrait de distinguer d’une forfaiture pure et simple.
11 septembre 2002. Cette date n’est pas seulement celle que les ministres de la justice français et italien, M. Dominique Perben et M. Roberto Castelli, en quête de symboles délicats, ont choisie pour se rencontrer et célébrer, au nom de la lutte contre le « terrorisme », leur solidarité dans le processus de vengeance sans fin et à sens unique de l’Etat italien ; elle est celle d’une victoire de l’Europe pénale.
En effet, l’extradition de Paolo Persichetti et les menaces qui pèsent sur les réfugiés politiques italiens, bien qu’elles se prévalent de règles antérieures, sont à la fois un accomplissement des promesses comprises dans ce monstre juridique que constitue l’« espace judiciaire européen » et une anticipation de l’entrée en vigueur du «mandat d’arrêt européen»: des dispositifs qui se fondent sur la «reconnaissance mutuelle» des actes judiciaires de tous les pays concernés et avalisent par conséquent les lois, les procédures et les décisions les plus répressives de chacun d’entre eux (3). Quant à l’alliance scellée entre M. Perben et M. Castelli, elle consacre l’amalgame de tous les «terrorismes» : un amalgame que le vocable favorise et que les dispositions judiciaires entérinent, dans un contexte de criminalisation de la contestation  (4).
C’est donc dans un mouvement de résistance plus général que s’inscrit la mobilisation pour la libération de Paolo Persichetti, pour la défense des réfugiés politiques italiens (5) et pour l’obtention d’une amnistie de tous les condamnés des «années de plomb».
Persichetti et Scalzone terminent leur livre par un fragment de ce propos de Gilles Deleuze : «Agents et patients, lorsque nous agissons et subissons, il nous reste toujours à être dignes de ce qui nous arrive. C’est sans doute cela la morale stoïcienne: ne pas être inférieur à l’événement, devenir le fils de ses propres événements (6)».
Nous savons que personne n’enlèvera cette dignité à Paolo Persichetti.

(1) Paolo Persichetti et Oreste Scalzone, La Révolution et l’Etat, Dagorno, Paris, 2000, 342 pages, 10,29 euros. Comité pour la libération de Paolo Persichetti : (www.persichetti.ras.eu.org).
(2) Ou, du moins, une mesure d’indulto: une diminution des peines qui les rendraient conformes au droit «ordinaire».
(3) Paolo Persichetti, «Plus de judiciaire, moins de juridique», 5 octobre 2001 (www.lsijolie.net/article.php3 ?id_ar…). Lire aussi Jean-Pierre Paye, «Faux-semblants du mandat d’arrêt européen», Le Monde diplomatique, février 2002.
(4) John Brown, «Les périlleuses tentatives pour définir le terrorisme», Le Monde diplomatique, février 2002. Le Figaro, toujours à l’avant-garde, avait détecté en novembre 2001 l’existence d’un «terrosyndicalisme» ou «terrorisme syndical», Le Figaro, 16 novembre 2001, sous la plume d’Ivan Roufiol.
(5) Tous mériteraient d’être nommés ici. Cesare Battisti et Oreste Scalzone sont, semble-t-il, les plus menacés.
(6) Gilles Deleuze et Claire Parnet, Dialogues, Flammarion, Paris, 1977, pp. 49-80.